Introduction
La plupart des langues du monde
sont des langues à genres. En Afrique, le phylum Niger-Congo compte beaucoup de
langues à genres. Les langues de la branche Gur du Niger-Congo qui ont un
système de genres comptent en moyenne cinq genres. Le koulango, langue Gur
parlée en Côte d’Ivoire et au Ghana, est à genres mais n’en dispose que deux.
De plus, là où les autres langues Gur opposent un genre humain à des genres
non-humains, le koulango oppose un genre animé à un inanimé. Ces particularités
ont certainement joué en faveur d’un classement du koulango comme langue Gur
périphérique. Comment cette langue en est-elle arrivée à ce changement à la
fois quantitatif et qualitatif de son système de genres ?
1. Principes
organisationnels d’un système de genres
Dans une langue à genres, le
lexique des noms communs est subdivisé en groupes, chaque groupe étant réuni autour
d’un affixe de genre. Le nom est ainsi composé d’un radical et de l’affixe du
genre auquel il appartient. Soit Rad le radical et x l’affixe (suffixe, préfixe
ou les deux à la fois), le nom commun aura la structure Rad-x (ou x-Rad ou
x-Rad-x). Puisque l’affixe varie en fonction du genre et qu’il y a forcément
plus d’un genre, on aura les affixes x1, x2, x3,
etc. On aura donc un genre dont les noms sont à structure Rad-x1, un
autre dont les noms auront la structure Rad-x2, ainsi de suite.
Dans le discours x, le marqueur
de genre, a trois zones d’apparition. La première est celle du nom où il sert
d’aiguilleur qui place le nom dans un genre donné. La seconde zone est celle du
déterminant dépendant (adjectif). Le radical de ce déterminant est accompagné de
l’affixe (ou son représentant) du nom qu’il détermine. La troisième et dernière
zone est celle du substitut pronominal. Quand, pour éviter de répéter un nom,
on décide de le remplacer par un pronom, la forme de ce pronom est x1,
x2 ou x3. De ces trois zones, la plus décisive pour
affirmer l’existence du genre est celle du pronom.
Quand le nom Rad-x désigne un
objet dénombrable, comment pluralise-t-on le nom ? Soit y le marqueur de
pluriel. Il y a deux procédés de pluralisation dans une langue à genres, la concaténation
et la substitution. La concaténation fait cohabiter l’affixe de genre x et
l’affixe de pluriel y : Rad-x devient, au pluriel, Rad-x-y et on aura pour
un genre Rad-x1-y, pour un autre Rad-x2-y, et ainsi de
suite. C’est le cas dans une langue comme l’espagnol. Avec la substitution, y
se substitue à x et, puisque le genre du nom doit demeurer identifiable même au
pluriel, il faut un y spécifique à chaque genre. Aussi a-t-on autant de y (y1,
y2, y3, etc.) qu’il y a de x de genres dénombrables. Dans
ce cas les noms du genre x1 auront pour structure Rad-y1,
ceux du genre x2 la structure Rad-y2. A
l’instar de toutes les langues Gur, le koulango a opté pour la substitution.
2. La zone du nom
et les affixes qui y apparaissent
L’affixe x koulango est un
suffixe. Dans cette position sa forme peut être affectée à la fois par les
composants phonématiques du radical et l’obligation pour la syllabe d’être
ouverte (CV). Pour dégager le suffixe x d’un nom Rad-x, on s’appuiera sur la commutation
Rad-x/Rad-y quand le nom est dénombrable.
Echantillon de noms A
Rad-x1
|
Rad-y1
|
||
|
|
|
|
||
(1)
|
vɛɛlɔ
|
vɛɛbɔ
|
frère
|
(2)
|
hɛɛn
|
hɛɛmɔ
|
homme
|
(3)
|
jɛrɛ
|
jɛbɔ
|
femme
|
(4)
|
mãrã
|
mãbɔ
|
chien
|
Dans cet échantillon, y est bɔ. Sa chute laisse en place un Rad qui est vɛɛ pour (1), hɛɛn pour (2), jɛ pour (3) et mã pour
(4). Après soustraction du Rad de Rad-x, il reste les formes x suivantes :
lɔ pour (1), rɛ pour (3), rã pour (4)
et l ou r pour (2). En (3) et (4), on voit que la voyelle de x est une
copie de celle du Rad affixé. Donc, en (3) et (4) x est [r]. En observant les
formes de x et y, on se rend compte que la voyelle finale ɔ est une voyelle de soutien permettant de réaliser une syllabe CV
quand il est impossible (ou interdit) de faire appel à la copie de la voyelle
de Rad. Donc, s'il est autorisé de ramener y à b
(au lieu de bɔ), on peut ramener aussi x de (1) à l, x de (3) et (4) à r. Avec l’hypothèse plus que probable
que [l] et [r] sont des variantes du x qui est /l/, et que la consonne /l/ est
assimilée par une nasale de Rad en (2), on peut schématiser l’échantillon A,
comme suit :
x1
|
=
|
l
|
y1
|
=
|
b
|
Echantillon de noms B
Rad-x2
|
Rad-y2
|
||
|
|
|
|
||
(5)
|
dɛɛkɔ
|
dɛɛn
|
bois
|
(6)
|
jɔkɔ
|
jɔn
|
eau
|
(7)
|
kakɔ
|
kan
|
arachide
|
(8)
|
goko
|
gon
|
calebasse (fruit)
|
L’analyse (dɛɛ-k/n, jɔ-k/n, ka-k/n, go-k/n), montre
que :
x2
|
=
|
k
|
y2
|
=
|
n
|
Echantillon de noms C
Rad-x3
|
Rad-y3
|
||
|
|
|
|
||
(9)
|
tɔɣɔ
|
tɔʋ̃
|
corps
|
(10)
|
gbigo
|
gbiũ
|
jour
|
(11)
|
lɔŋɔ
|
lɔŋɔʋ̃
|
guerre
|
(12)
|
nʋʋŋɔ
|
nʋ̃ʋ̃ʋ̃
|
bouche
|
L’analyse (tɔ-g/ʋ̃, gbi-g/ʋ̃, lɔn-g/ʋ̃, nʋʋn-g/ʋ̃) montre
que :
x3
|
=
|
g
|
y3
|
=
|
ʋ̃
|
Echantillon de noms D
Rad-x4
|
Rad-y4
|
||
|
|
|
|
||
(13)
|
fɛɛ
|
fɛɩ̃
|
épaule
|
(14)
|
gbɛɛ
|
gbɛɩ̃
|
feuille
|
(15)
|
fee
|
feĩ
|
œuf
|
(16)
|
hee
|
heĩ
|
calebasse (ustensile)
|
L’analyse (fɛ-ɛ/ɩ̃, gbɛ-ɛ/ɩ̃, fe-ɛ/ɩ̃, he-ɛ/ɩ̃) montre
que :
x4
|
=
|
ɛ
|
y4
|
=
|
ɩ͂
|
Echantillon de noms E
Rad-x5
|
Rad-y5
|
||
|
|
|
|
||
(17)
|
jɔɔrɔ
|
jɔɔn
|
ver de terre
|
(18)
|
buuro
|
buun
|
gazelle
|
(19)
|
pʋʋrɔ
|
pʋʋn
|
poisson
|
(20)
|
gbɛɛrɔ
|
gbɛɛn
|
grenouille
|
L’analyse (jɔɔ-r/n, buu-r/n, pʋʋ-r/n, gbɛɛ-r/n) montre
que :
x5
|
=
|
r
|
y5
|
=
|
n
|
Mais comme il a été montré plus haut que r est une variante de l, x1, et que n est le pluriel spécifique de x2,
le résultat est :
x5
|
=
|
x1
|
y5
|
=
|
y2
|
Ce qui donne un couple x1/y2.
Echantillon de noms F
Rad-x6
|
Rad-y6
|
||
|
|
|
|
||
(21)
|
daɣa
|
daʋ̃
|
feu
|
(22)
|
sãŋã
|
sãʋ̃
|
nez
|
(23)
|
nãŋã
|
nãʋ̃
|
pied
|
(24)
|
saŋa
|
saŋaʋ̃
|
natte (tresse de cheveux)
|
L’analyse (da-g/ʋ̃, sãn-g/ʋ̃, nãn-g/ʋ̃, san-g/ʋ̃)
montre que :
x6
|
=
|
g
|
y6
|
=
|
ʋ̃
|
Or on sait que :
x3
|
=
|
g
|
y3
|
=
|
ʋ̃
|
Donc :
x6
|
=
|
x3
|
y6
|
=
|
y3
|
Echantillon de noms G
Rad-x7
|
Rad-y7
|
||
|
|
|
|
||
(25)
|
fɛkpɔ
|
fɛm
|
piège, sp
|
(26)
|
kaakpɔ
|
kaam
|
haricot
|
(27)
|
tɔɔŋmɔ
|
tɔɔm
|
sang
|
(28)
|
dɔŋmɔ
|
dɔm
|
igname
|
L’analyse (fɛ-kp/m, kaa-kp/m, tɔɔn-kp/m, dɔn-kp/m) montre
que :
x7
|
=
|
kp
|
y7
|
=
|
m
|
Echantillon de noms H
Rad-x8
|
Rad-y8
|
||
|
|
|
|
||
(29)
|
paraɟɔ
|
paraʋ̃
|
étoile
|
(30)
|
siriɟo
|
siriũ
|
bague
|
(31)
|
fɩ̃ɲɔ
|
fɩ̃ʋ̃
|
mois
|
(32)
|
siɲo
|
siũ
|
médicament
|
L’analyse (para-ɟ/ʋ̃, siri-ɟ/ʋ̃, fin-ɟ/ʋ̃, sin-ɟ/ʋ̃)
montre que :
x8
|
=
|
ɟ
|
y8
|
=
|
ʋ̃
|
Puisque ʋ̃ et y3,
et que ɟ n’a de marqueur de pluriel
que ʋ̃ donc au même titre que g, on peut valablement considérer ɟ
comme une variante de g. d’où :
x8
|
=
|
x3
|
y8
|
=
|
y3
|
Résultats de l’analyse
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
||
x
|
:
|
l
|
k
|
g/ɟ
|
ɛ
|
kp
|
y
|
:
|
b
|
n
|
ʋ̃
|
ɩ̃
|
m
|
Avec cinq marqueurs x (l, k, g, ɛ, kp) comme affixes de
nom, le koulango devrait en principe compter cinq genres. C’est la moyenne dans
le Gur : Le tem (Gurunsi), le gurɛnɛ (Oti-Volta) et le supyire (Sénoufo)
ont chacun cinq genres. Mais l’affixe du nom ne suffit pas pour attester un
genre. C’est l’existence d’un schème d’accord qui prouve son existence et sa
vivacité. Testons donc les affixes dans les deux autres zones de leur
apparition, le déterminant et le pronom.
3. Le test du
schème d’accord
Un des procédés de topicalisation
(ou thématisation) offre la possibilité d’avoir dans un même énoncé un nom et
son substitut pronominal (Elle est
partie, la femme). Si le nom est accompagné d’un adjectif, il est possible
de réunir dans un énoncé topicalisé les trois zones de présence du marqueur de
genre, à savoir le nom, le déterminant et le pronom (Elle est partie, la vilaine femme).
Soit, en koulango, un énoncé
topicalisé où le nom topicalisé est jɛrɛ
‘femme’, son déterminant adjectival a pour radical kpʋ̃ʋ͂ ‘mauvais’. Avec le verbe jaa
‘partir’ à l’accompli l’équivalent de Elle
est partie, la vilaine femme sera P1 jɛrɛ kpʋ͂ʋ͂r, hʋ̃ jaa. Au pluriel, la phrase sera P1pl jɛbɔ kpʋ͂ʋ͂mɔ, bɔ jaa. Soit :
N
|
Adj
|
Pr
|
||
|
|
|
|
|
|
||
P1
|
jɛ-l
|
kpʋ͂ʋ͂-l
|
hʋ͂
|
jaa
|
x1
|
x1
|
hʋ͂
|
||
P1pl
|
jɛ-b
|
kpʋ͂ʋ͂-b
|
b
|
jaa
|
y1
|
y1
|
y1
|
En P1, l’affixe nominal x1 (l) est repris par l’adjectif mais le
pronom propose une forme différente (hʋ͂)
mais spécifique à x1. En P1pl, l’affixe nominal y1
(b) est repris tel quel par
l’adjectif et par le pronom.
Savoir si ce couple de schèmes x1-x1-hʋ͂/y1-y1-y1
renvoie à un genre dépendra de la présence contrastive d’un autre schème (ou
plus) dans les mêmes zones d’expression. Soit donc à la place de jɛrɛ un nom d’affixe x2, en
l’occurrence kakɔ ‘cacahuète’. Avec
le verbe à l’accompli ɟʋ ‘pourrir’ on
peut avoir P2 kakɔ kpʋ͂ʋ͂kɔ, hɔ
ɟʋ ‘elle est pourrie, la vilaine cacahuète’ et, au pluriel P2pl kan kpʋ͂ʋ͂n ʋ͂ ɟʋ ‘elles sont pourries,
les vilaines cacahuètes’. Soit :
P2
|
ka-k
|
kpʋ͂ʋ͂-k
|
hɔ
|
ɟʋ
|
x2
|
x2
|
hɔ
|
||
P2pl
|
ka-n
|
kpʋ͂ʋ͂-n
|
ʋ͂
|
ɟʋ
|
y2
|
y2
|
ʋ͂
|
La présence d’un deuxième couple de schèmes d’accord, x2-x2-hɔ/y2-y2-ʋ͂
prouve la présence de genres en koulango, deux pour le moment, le genre x1
et le genre x2. Y en a-t-il d’autres ?
4. Quels schèmes d’accord
avec les affixes x3, x4 et x5 ?
Le nom jɔɔrɔ/jɔɔn ((17)) ‘ver de
terre’ a pour l’affixe x, x1 et pour l’affixe y, y2. On
s’attendrait que son x1 déclenche le schème d’accord x1-x1-hʋ͂
et que son y2 déclenche, de son côté, le schème d’accord y2-y2-ʋ͂.
L’hypothèse est vérifiée avec x1 : P3 = jɔɔrɔ kpʋ͂ʋ͂rɔ hʋ͂ jaa ‘il est parti, le
ver de terre’ :
P3
|
jɔɔ-l
|
kpʋ͂ʋ͂-l
|
hʋ͂
|
jaa
|
x1
|
x1
|
hʋ͂
|
Mais elle ne l’est pas pour y2, car le schème
enclenché n’est celui de P2pl comme attendu mais celui de P1pl :
P3pl = jɔɔn kpʋ͂ʋ͂mɔ bɔ jaa
‘ils sont partis, les vers de terre’ :
P3pl
|
jɔɔ-n
|
kpʋ͂ʋ͂-b
|
b
|
jaa
|
y2
|
y1
|
y1
|
Le schème d’accord n’a pas tenu compte de l’affixe
nominal. Cela veut dire que ce n’est pas à cet affixe que revient le pouvoir
d’enclencher un schème d’accord. Si donc la propriété responsable du type de
schème d’accord n’est pas morphologique, elle est sémantique. Les noms soumis
aux schèmes d’accord P1 et P1pl ont en commun d’être des
êtres animés. S’agit-il de la propriété animé ?
N’est-ce pas cette propriété qui a contraint P3pl à prendre le
schème d’accord de P1pl ?
Pour qu’il en soit ainsi, il
faudrait que tout nom désignant un objet inanimé soit soumis aux schèmes
d’accord P2/P2pl. Soit donc le nom fɛkpɔ/fɛm ((25)) ‘espèce
de piège’. Ses affixes x5 (kp) et y5 (m) sont incapables
d’enclencher chacun un schème d’accord propre. Ils reprennent les schèmes x2/y2 :
P4 : fɛkpɔ kpʋ͂ʋ͂kɔ hɔ
ceji ‘il est tombé, le vilain piège’ et P4pl : fɛm kpʋ͂ʋ͂n ʋ͂ ceji ‘ils sont tombés,
les vilains pièges’ :
P4
|
fɛ-kp
|
kpʋ͂ʋ͂-k
|
hɔ
|
ceji
|
x5
|
x2
|
hɔ
|
||
P4pl
|
fɛ-m
|
kpʋ͂ʋ͂-n
|
ʋ͂
|
ceji
|
y5
|
y2
|
ʋ͂
|
L’affectation à x5 et y5 les schèmes d’accord de x2 et y2
des inanimés confirme l’hypothèse que les schèmes d’accord x1-x1-hʋ͂
et y1-y1-y1 sont réservés aux animés et que
les schèmes d’accord x2-x2-hɔ et y2-y2-ʋ͂
sont, eux, affectés aux non-animés, sans considération de la nature de l’affixe
du nom.
Le koulango a donc deux genres.
Quelles en sont les propriétés ?
5. Les propriétés
des deux genres
Un genre est fondé sur une
propriété sémantique. Celle-ci est l’objet d’un choix conscient. Quand un
certain nombre de noms du lexique sont sélectionnés à partir d’une propriété
sémantique qu’ils ont en commun, x1 par exemple, les autres noms du
lexique sont considérés comme n’ayant pas cette propriété, donc non-x1.
Au sein des non-x1, on peut sélectionner des noms sur la base d’une
propriété x2 ; les noms restants sont à la fois des non-x1
et non-x2. Au moment où s’arrête le processus de sélection, il
restera des noms, des non-x1, non-x2, non-x3,
etc. La propriété qui caractérise ces derniers noms est non(x1, x2,
x3, etc.), c’est-à-dire le neutre. Le neutre est la propriété qui
n’a pas fait l’objet de choix.
Dans un lexique de noms où seule
une propriété, x1 par exemple, a été choisie pour sélectionner des
noms, le reste des noms sont considérés comme des non-x1. Ainsi si x1
est « forme longue » le non-x1 comprendra les
« formes courtes », les « formes rondes », des
« formes brisées », etc. Si le non-x1 coïncide avec
l’inverse de x1, par exemple si x1 est « formes
longues » et non-x1 est « formes courtes », on pourra
parler de genre long et genre court. Mais il reste clair que la
propriété court n’a pas fait l’objet
de choix et qu’il est, quant au fond, neutre.
Le koulango a deux genres, animé et inanimé. Cela veut dire que c’est
un des deux genres qui a fait l’objet de choix. L’être humain étant lui-même
animé, le bon sens veut que ce soit la propriété animé qui est la propriété choisie. Le genre inanimé est donc le
genre neutre, c’est-à-dire le genre
non choisi.
6. Pourquoi deux
genres et pourquoi animé/inanimé ?
Le koulango baigne dans un
contexte Gur de langues à cinq genres. Comment en est-il arrivé, lui, à n’en
avoir que deux ? Sont-ce les autres qui ont augmenté le nombre de leurs
genres ou est-ce que c’est le koulango qui a diminué le nombre des siens ?
Dans les systèmes Gur voisins, la première propriété choisie est celle de humain, créant ainsi une opposition humain/non-humain. Pourquoi le
koulango offre-t-il, lui, une opposition non pas identique mais parallèle animé/non-animé ?
La présence de cinq couples
d’affixes nominaux (l/b, k/n, g/ʋ͂, ɛ/ɩ͂, kp/m) dont certains sont totalement
(k/n) ou partiellement (l/b, g/ʋ͂, kp/m) semblables à ceux des systèmes à cinq
genres montrent bien que koulango a connu aussi cinq genres dans le passé. Le
nombre de deux qu’il a aujourd’hui est le résultat d’une évolution par la
réduction.
Si le koulango avait cinq genres
dans le passé, le fait que le genre l/b ait partiellement les affixes du genre
humain que ses voisins gur (ʋ/ba en tem, a/ba en gurɛnɛ, ʋ/pa en sénoufo)
prouve que l/b devait être le genre humain. Dans un passage de cinq à deux
genres, la conservation du genre humain dans les proportions antérieures
risquait de créer une disproportion numérique énorme entre les deux nouveaux
genres. La présence très probable d’éléments physiquement non-humains dans le
genre humain l/b ancien a dû faciliter l’intégration dans ce genre des autres
êtres animés non-humains dans le nouveau l/b, transformant ainsi la propriété humain en propriété animé.
Conclusion
Dans les langues gur où le
système des genres est vivace, le nombre le plus fréquent des genres est cinq.
Le koulango a la particularité de n’en présenter que deux. Le fait que les deux
genres sont le résultat d’une évolution prouve, s’il en était besoin, que le
système des genres d’une langue n’est
pas stable. Le caractère réduit de cette évolution ajouté à la disparition
totale de genres dans certaines langues gur (voir le mooré, R. Kaboré 1985 et
Z. Tchagbalé 2007) prouve que l’évolution des systèmes de genres gur s’effectue
selon une pente réductionnelle et que le système du koulango est à un stage
intermédiaire.
Les deux genres du koulango sont
animé et inanimé. Le passage de humain/non-humain
qui est général dans le gur a été favorisé par le souci d’un équilibre
numérique entre les deux genres d’une part et d’autre part par la présence d’un
nombre significatif d’animaux dans les genres humain des langues gur.
Au total, loin de prouver le
caractère ‘périphérique’ du koulango au sein du gur, le système des genres de
cette langue la plonge dans le cœur de cette famille linguistique.
Références
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