mercredi 22 août 2012

Initiation à la grammaire tem Chapitre 3 : Le nom Leçon 8 : Qu’est-ce que le pronom ?

On appelle discours un texte oral ou écrit énoncé en une ou plusieurs phrases. Le discours évoque des êtres (personnes ou objets) à travers leurs désignations formulées sous forme de nom ou d’expression nominale. Au fil de son discours, l’orateur ou l’écrivain peut avoir besoin d’évoquer plus d’une fois un même être, donc son nom ou l’expression qui le désigne. Reprendre le même nom à chaque fois donnerait à son discours un caractère enfantin et insipide. Comment se prend donc l’orateur ou l’écrivain face à la nécessité de rappeler plusieurs fois l’image d’un être ?

1. La substitution

Les circonstances qui amènent l’écrivain ou l’orateur à devoir répéter l’évocation d’un personnage sont nombreuses. On peut citer la description d’un individu ou le reportage sur l’activité d’une personne. A titre d’exemple voici un texte de reportage journalistique. Il s’agit d’un article paru dans le quotidien ivoirien L’Expression n° 563 du vendredi 24 juin 2011 sous la plume de Jean-Roche Kouamé (avec quelques retouches sur l’orthographe de ma part) :

La 17ème Assemblée des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine (UA) se tient du 23 juin au 1er juillet à Malabo, en République de Guinée Equatoriale.

Le thème retenu est : “Accélérer l’autonomisation de la jeunesse pour le développement durable”.

Le Président de la République, Alassane Ouattara, participera à son premier sommet de l’UA en tant que Président investi.

Le Chef de l’Etat est accompagné par une délégation qui comprend le Ministre d’Etat, Ministre des Affaires Etrangères, Daniel Kabran Duncan, le Ministre des Mines et de l’Energie, Adama Toungara, le Ministre chargé de l’Intégration, Adama Bictogo, du Directeur du Protocole d’Etat, Collet Philippe Vieira, du Chef de Cabinet, Sidi Touré, du Conseiller en charge des Affaires Internationales, Mamadi Diané, de la Conseillère en Communication, Masséré Touré, du Chargé de Protocole du Président, Eric Taba et d’une douzaine de journalistes.

Le président de Guinée Equatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, Président en exercice de l’Union Africaine qui a pris part à l’investiture du Président Ouattara , le 21 mai à Yamoussoukro, sera heureux de retrouver le n°1 ivoirien .

En marge du sommet, les deux Chefs d’Etat aborderont les relations bilatérales entre Abidjan et Malabo. Dans la crise postélectorale, on le sait, Obiang Nguema avait pris fait et cause pour Laurent Gbagbo. L’occasion est belle pour les deux hommes d’Etat de relancer la coopération sur des bases plus solides.

Au-delà des dossiers politiques, l’enjeu de cette visite est aussi économique. Le Président ivoirien fait le déplacement dans ce petit pays d’Afrique Centrale, producteur de pétrole, avec son ministre des Mines et de l’Energie. Nul doute qu’Adama Toungara nouera des contacts avec son homologue en vue du renforcement de l’axe Abidjan-Malabo.

Le personnage évoqué à plusieurs reprises est désignée par une expression, “le Président de la République, Alassane Ouattara” (§ 3). L’expression dit l’identité du personnage (Alassane Ouattara) et la qualité au nom de laquelle il agit (Président de la République).

Tout ce qui va suivre dans le cours du reportage et qui sera fait ou dit par ce personnage le sera par “le Président de la République, Alassane Ouattara”. A chaque fois qu’il sera question du même personnage comment s’y prend le journaliste reporter ?

Pour les évocations suivantes le personnage est repris successivement par les expressions suivantes :

1 “le Chef de l’Etat” (§ 4),
2 “le Président Ouattara” (§ 5),
3 “le n°1 ivoirien” (§ 5),
4 “le Président ivoirien” (§ 7)
5 “son” (§ 7).

Parce qu’elles se substituent à “le Président de la République, Alassane Ouattara”, ces cinq expressions sont appelées sont des substituts. Ces substituts se répartissent en trois catégories :

La première catégorie a pour substitut “le Président Ouattara” ; elle procède par réduction. Elle consiste à réduire la formulation première, “le Président de la République, Alassane Ouattara”, à sa plus simple expression. L’expression de départ étant constitué de deux syntagmes nominaux, chaque syntagme va être réduit au maximum. Ainsi le syntagme “le Président de la République” va être ramené à son terme de tête, le terme déterminé qui est “le Président” ; pour sa part, le syntagme “Alassane Ouattara ” dont la tête est “Ouattara” sera ramené à ce terme. Le résultat de la réduction est “le Président Ouattara”.

La deuxième catégorie procède par requalification. Elle comprend trois substituts : “le Chef de l’Etat”, “ le n°1 ivoirien ” et “le Président ivoirien ”. Le substitut “le Chef de l’Etat” est un autre attribut du Président de la République en Côte d’Ivoire. Le terme “n° 1”, terme de tête du syntagme “l e n°1 ivoirien” est une requalification de Président ou de Chef de l’Etat. Le terme “ivoirien” des syntagmes “le n°1 ivoirien” et “le Président ivoirien” qualifie le personnage par la référence au pays où “le Président de la République, Alassane Ouattara” exerce sa fonction de Président.

La troisième et dernière catégorie est celle d’un outil spécialisé dans la fonction de substitution. Dans l’article, cet outil a pris la forme de “ son ”. Sans le substitut “son” le syntagme “son ministre” serait “le ministre du Président de la République, Alassane Ouattara”. “Son&rdquo ; est donc bien le substitut de l’expression de départ. Mais à la différence des substituts des catégories précédentes qui ne sont substituts qu’occasionnellement, “son” est un substitut professionnel, conçu spécialement et uniquement pour servir de substitut à un nom, d’où sa désignation de pronom, traduction du latin pronomen ‘mis pour le nom’.

2. Le pronom et ses formes

En tant que substitut professionnel, le pronom est, par essence, unique : il n’y a pas des pronoms mais un pronom. Mais comme il est souvent sensible non seulement au genre et au pluriel mais aussi aux fonctions syntaxiques du nom et qu’il traduit cette sensibilité dans sa forme, le pronom se présente sous plusieurs formes. En voici un exemple dans cette deuxième des six strophes du poème de Victor Hugo intitulé Fonction du poète :

1 Le poète en des jours impies
2 Vient préparer des jours meilleurs.
3 Il est l’homme des utopies
4 Les pieds ici, les yeux ailleurs.
5 C’est lui qui sur toutes les têtes,
6 En tout temps, pareil aux prophètes,
7 Dans sa main, où tout peut tenir,
8 Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue,
9 Comme une torche qu’ il secoue,
10 Faire flamboyer l’avenir.

Pour ses reprises “le poète” (vers 1) a pour substitut IL. IL prend les formes “il” (vers 3 et 9) en fonction sujet, “le” (vers 8) en fonction objet, “lui” (vers 5) en situation d’emphase et “sa” (vers 7) en fonction de déterminant. IL aurait pu prendre la forme “elle” et “la” si le nom substitué était du genre féminin. En somme, “il”, “le”, “lui” et “sa” ou éventuellement “elle” et “la” ne sont pas des pronoms distincts mais des formes du même pronom, IL.

3. IL, un pronom personnel ?

Il existe des outils (expressions lexicales ou unités grammaticales) qui, dans le discours, servent à identifier le référent du nom soit par description (“qui”, (“dont”) soit par monstration (“celui”), soit par questionnement (“qui ?”, (“lequel ?”). Ces outils sont abusivement appelés pronoms alors qu’ils ne sont pas (“mis pour le nom” : ils sont dits pronoms relatifs, démonstratifs ou interrogatifs. Pour le différencier de ce type d’outils du discours, on a baptisé IL (“pronom personnel”) .

Une autre raison qui justifie, la présence du terme ‘personnel’ dans cette appellation traditionnelle, vient de l’association de IL, JE et TU dans un même paradigme, bien que JE et TU ne soient pas des substituts de noms évoqués antérieurement dans le discours. En effet, JE et TU sont des noms instantanés que se donnent deux interlocuteurs au moment en plein échange. Celui qui parle s’appelle JE au moment où il parle et, dans le même moment l’autre prend le nom de TU. Ces noms de baptême instantanés s’inversent lorsque l’interlocuteur qui écoutait jusque là prend la parole à son tour tandis que celui qui parlait devient l’auditeur. Comme on voit, l’existence de JE et TU ne dure que l’instant de l’interlocution. Ce sont donc des allocutifs et non des pronoms. Ils n’ont pas à figurer dans un paradigme avec le pronom IL.

IL n’a donc pas besoin d’être qualifié de ‘personnel’ pour se distinguer des relatifs et autres démonstratifs ; il n’a pas non plus besoin de cette qualification pour mériter une place au sein du paradigme JE-TU parce qu’il n’a rien à voir dans ce paradigme.

Notons que pour avoir introduit IL dans le même paradigme JE-TU, la grammaire traditionnelle et, à sa suite, la linguistique moderne ont créé un débat inutile dont s’est fait l’écho le grand linguiste Emile Benveniste qui a traité IL de « non-personne » (Problèmes de linguistique générale, Gallimard, 1966, ch. XX “La nature des pronoms” 251-257). Ce faisant, il exclut IL de la situation d’énonciation, domaine de JE et TU, ce qui est juste, mais il continue de le maintenir dans le faux paradigme JE-TU-IL.

Conclusion

Dans un discours, s’il y a un besoin de mentionner plusieurs fois un nom, celui-ci ne doit pas être répété. Il doit être repris par un substitut. Il y a plusieurs genres de substituts. Le substitut spécialement conçu pour reprendre le nom est appelé pronom. Le pronom peut adapter sa forme à la fonction syntaxique ou morphosyntaxique assumée, au genre et au nombre du nom substitué. On n’aura pas pour autant plusieurs pronoms mais un pronom avec plusieurs formes.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire